Je sens une bouffée de nostalgie m'envahir lorsque j'ouvre un vieux carton qui traîne dans l'entrée depuis quelques mois déjà. C'est même plus qu'une bouffée de nostalgie. Des anciennes affaires de maman y traînent depuis si longtemps qu'elles sont rongées par les mites. Après sa mort, le facteur est venu m'apporter ce colis. Je ne l'ai jamais ouvert depuis. Mais comme je suis un gentil garçon, j'ai décidé de ranger mon appartement, pour l'année à venir. Après, j'aviserais. Je n'aime pas vraiment ce verbe mais c'est celui que j'utilise le plus souvent. Je joue sur la voie de la procrastination. Jouer aussi est un verbe que j'use souvent, mais il a un tout autre sens. Je suis un éternel gamin. Je suis un Peter Pan, de pacotille certes, mais qui fait des efforts.
Je me dis aussi que si je veux pouvoir être présentable, il faut que mon appartement reflète mon état d'esprit. J'ai laissé le chemin de fer qui traverse le salon, mais j'ai rangé ou jeté toutes mes peluches et cartes à jouer dissimulées un peu partout. J'ai failli pleurer en jetant Basile, le nounours qui a partagé ma vie durant plus de vingt ans. Mais c'était nécessaire. Je dois faire un grand ménage si je veux reconstruire ma vie un jour. Je déménagerais, c'est certain. Mais en attendant, je me dois d'être propre et organisé. C'est ainsi. Il a bon dos le Grady.
Ce fameux carton me rappelle de nombreux souvenirs. Je me perds aussitôt dans mes pensées en songeant à tout ce que j'ai vécu avec ma mère, à ce que nous avons enduré. Je croyais tellement bien la connaître, mais elle m'avait menti, elle m'avait détourné d'elle pour mieux me blesser. Elle n'avait jamais été suicidaire. Elle n'avait même jamais tenté de sombrer dans l'alcool ou la drogue. Alors ça avait été un choc en apprenant qu'elle s'était suicidée. Je n'étais d'ailleurs jamais venu aux obsèques. Ils pouvaient l'enterrer sans moi, c'est à peine si je réalisais sa mort. Elle ne me tromperait pas une fois de plus. À l'avenir, je me fis moins naïf. Moins insouciant. Plus mature et adulte.
« Oooh, la rouquine ! Alors, quoi de neuf aujourd'hui ? »
Je traverse la place d'Ashgrove et qui voilà ? Cette bonne vieille Leah ! Entre nous deux c'est assez conflictuel. Un coup je l'aime un coup je la déteste. Et dès que je la vois, je ne peux m'empêcher de lui envoyer des piques. C'est comme ça entre nous, on fait des ricochets, on se renvoie la balle. Je souris. Je n'ai jamais voulu être méchant, juste taquin. Espérons qu'elle soit assez de bonne humeur pour prendre ça à la légère. Mais elle me connaît. Elle ne va pas s'énerver. Enfin, je crois. Les femmes sont si imprévisibles parfois ! Et puis elle pourrait me planter là, elle en aurait le droit. Même si le jeu instauré entre nous a des règles très claires, il arrive parfois que nous les contournions. Parce que c'est tellement drôle de nous faire chier mutuellement.